أنموذج الزّمان في شعراء القيروان

Ce livre a connu un étrange destin. Pendant un certain temps, il a été célèbre, largement diffusé et cité par de nombreux auteurs, mais il a disparu au huitième siècle de l’hégire et toute référence directe à l’ouvrage a cessé. Il revient à l'existence grâce à deux éditeurs tunisiens, al-ʿArūsī al-Maṭwī (m. 2005) et Bašīr al-Bakkūš qui s’étaient fondés sur les ouvrages ayant reproduit les biographies de poètes relatées par Ibn Rašīq, dont les plus importants sont le Dictionnaire biographique de Salah al-Dīn al-Ṣafadī (m. 1363) et Les Voies de la compréhension de Abū al-Faḍl al-ʿUmarī al-Dimašqī (m. 1394).

Ce livre singulier présente cent biographies de poètes contemporains de Ibn Rašīq avec des vers cités en exemples. On disait de ces poètes qu’ils étaient de Al-Qayrawān (Kairouan) parce que c’était la capitale de l’Ifrīqīyya, que le palais de Al-Muʿizz Ibn Bādīs (1016-1062) s’y trouvait et qu’elle avait attiré beaucoup de poètes, d’écrivains et de savants. En fait, les poètes de cette anthologie venaient d’un grand nombre de villages et villes ; certains existent jusqu’à aujourd’hui, d’autres ont disparu, d’autres ne font plus partie de la carte de la Tunisie : Tūnis, Sousse, Isfax (sic), Mahdīa, Gafsa, Kastilya (actuellement Tozeur), Bāǧazit (dans les oliveraies du Sahel), Bāǧagamh (l’actuelle Bāǧa), Nefza, Arbès ( une ville fertile proche du Al-Kāf), Rasfa (actuellement Al-Šābba), Tāharẗ, le village de Banī Firās (proche de Tunis), sadèf ( « à cinq lieues de la ville de Al-Qayrawān (Kairouan) »), Al-Hawwaryūn, Zwila (Ramleh de Mahdia), Al-saʻdyīne (« limitrophe de Mahdīa »), Nounesh, Zoubennah (ces deux dernières étaient des agglomérations de Rasfa), Al-Massīla, Al Mansūrīya, Al-Mūhammadīya et Ǧarrāwa… ces noms de localités témoignent de l’essor de l’enseignement en langue arabe et du dynamisme de l’activité littéraire dans la plupart des régions du pays.

En outre, l’originalité du livre réside dans le style de l’auteur qui allie les aspects de la personnalité du poète et les particularités de sa propre poésie. Ibn Rašīq était enclin à la rénovation qu’il dénommait « génération » et « invention » ; à ce propos, il écrit dans la biographie de Ibn Ḥarbūn: « J’ai feuilleté tout ce que j’ai pu consulter de ses poésies et je n’ai rien trouvé qui puisse générer un sens qui lui soit propre ni un apport qui lui appartiendrait de droit. » En revanche, il avait en horreur l’affectation et la sophistication.

Dans le livre se trouvent de nombreuses anecdotes relatives à la vie des poètes, à leurs voyages d’Ifrīqīyya en Sicile(Ṣiqillīya), en Al-Andalūs et en Orient, à leur libertinage et à leur prédilection pour l’oisiveté. Et dans certains de ses récits, il se fait l’écho des conflits sectaires et du massacre des Chiites en l’an 407 de l’hégire/1016 J-C. Ibn Rašīq avait une idée négative des poètes d’obédience chiite ; ainsi disait-il du poète Ishāq Ibn Ibrāhīm : « il était réfractaire et blasphémateur, que Dieu le maudisse. Notre seigneur, -- que Dieu lui donne longue vie--, a ordonné son exécution en l’an 420, dans l’espoir d’une récompense divine.

Quelque deux siècles plus tard, Ibn al-Abbār al-Balansī (m. 658/1260) devait composer son livre Tuḥfat al-Qādim de manière à « égaler » l'Unmudhaj d'Ibn Rašīq, en se limitant à cent poètes et poétesses d'al-Andalus.